C'est un jardin extraordinaire
Isigny Le Buat
Les vélos étaient rangés sous le hangar. Les sacoches dispersées. La tente a séché.
Short et cycliste ont été troqués pour les affaires “de ville”, enfin de campagne.
Cela fait 10 jours que nous n'avions pas roulé. 0km. À l'arrêt complet.
Lorsque j'imaginais cette Velicita j'osais avec un enthousiasme naïf projeter des moments comme ceux que l'on vit depuis que l'on a débarqué ici. Mais je n'imaginais pas qu'ils puissent se concentrer sur un seul lieu en si peu de temps.
Nous étions au Jardin du Trèfle chez Pierre, Luce et Chêne. Le Jardin du Trèfle c'est une ferme bio, 26 laitières montbéliardes et la transformation d'une partie du lait en tome, fromage frais et yaourt.
On est bien ici hein ? |
Pierre nous a accueilli un vendredi en fin d'après midi. On devait rester une nuit.
On n'est reparti que aujourd'hui mardi, soit 11 jours plus tard.
Une hospitalité naturelle et évidente qui met à l'aise. Il y a ici une atmosphère de sérénité et de respect. De la nature certes mais aussi des autres, de l'humain. Chaque journée passée ici est une invitation et une stimulation à évoluer, à se poser des questions, à se reconsidérer. Sous le regard bienveillant de chacune des personnes sur la ferme on peut s'ouvrir et se libérer de certaines chaînes.
Que l'on est libre lorsque l'on est sans aucun jugement sous le regard de l'autre.
Il s'est passé tant de choses en si peu de temps… Un rêve d'enfant réalisé, des intuitions confrontées à la réalité, des travaux manuels confiés, des blocages déverrouillés, des introductions à tant de choses de la terre, des leçons à prendre sur les rapports humains, une ouverture sur le monde et sur les choses, une initiation à la conscience de l'esprit…
Préparation de la traite |
Tout à changé la bas. Mon rapport au temps, au voyage, au fait d'avancer, de rouler, aux objectifs, à l'organisation des journées, la structuration de la vie. Mon rapport aux choses, aux gens, a la nature.. Mon rapport à moi, mes capacités, ma confiance, mes envies, mes buts.
Il y a ces rencontres que l'on accueille avec émerveillement. Celles ou il est difficile de partir le lendemain et de se dire que l'on se quitte. On voudrait se dire aurevoir et à bientôt et il est décevant de s'imaginer une vie dans l'absence.
Celle ci est différente. C'est une rencontre qui vous pénètre, qui entre en vous. Il n'y a pas de lendemain, il y a un hier, un avant. Et il n'y a pas d'aurevoir car je sais que chaque pas que je ferai a présent sera posé en partie sur les trèfles de ce jardin.
Je suis parti tout petit en ne sachant pas faire grand chose et en ayant surtout peur de faire tout ce que je ne sais pas faire et que je ne maîtrise pas. Je ne suis pas plus grand ni plus doué mais ma peur s'est estompée. Pierre, Luce et Chêne par leur bienveillance, leur patience et leur confiance m'ont initié à plein de choses. Et ils m'ont poussé à me lancer, a faire, a me tromper sans honte. Et à aboutir.
On n'a pas bougé mais ils nous ont propulsés
Je l'ai déjà écris : en quittant tout je ne partais en croisade contre rien ni personne. Je ne suis pas anti système, et j'ai conscience d'en être un pur produit. Aujourd'hui j'en suis juste arrivé à un moment de ma vie ou je recherche quelle est ma place dans ce système et comment contribuer à le rendre meilleur. J'ai entendu Eric Bellion (navigateur) dire pendant le Vendée Globe l'année dernière “pour avoir quelque chose que tu n'as jamais eu il faut faire des choses que tu n'as jamais faites”. Je crois que dans ces mots il y a un peu du sens de ma Velicita.
Partir au rythme régulier et doux de la pédale, rencontrer, partager, découvrir, s'ouvrir, se découvrir, s’émerveiller, reprendre le contact et être acteur de chaque instant de sa vie. Ce ne sont pas des mots ni des intentions c'est une action mise en route depuis le premier coup de pédale.
Et ici au Jardin du Trèfle tout s'est accéléré. J'ai trouvé un environnement qui m'a propulsé sur mon chemin.
Ici je peux toucher du doigt, la formule prend tout son sens, le métier de fermier, le contact quotidien avec la nature, la dépendance aux éléments. Il y a aussi ces choses si simples mais dont je m'étais tant éloigné. Travailler en fonction du jour, la dépendance à la météo, les cycles et micro cycles de la nature… Il y a encore quelques mois un changement d'heure ne modifiait rien dans mon quotidien. Mon téléphone qui est mon réveil se mettait à la nouvelle heure tout seul et des réunions qui commençaient à 9h la veille commençaient toujours à 9h le lendemain. Ici se caler sur l'heure solaire ou non est un vrai choix impliquant. Pour les vaches, habituées au rythme de la traite, parce que 3 personnes assurent les traites et qu'il faut que chacun s'accorde, notamment en fonction des enfants dont les journées vont également se trouver décalées.
J'ai vécu aussi un retour à mes sens. Toucher un mur pour voir s'il est lisse et bien poncé, étreindre un veau de 2 jours pour le calmer en lui donnant le biberon, ressentir sa panique et lui parler, écouter les bruits, les sons, goûter le caillé pour voir s'il est prêt, contempler la beauté d'un paysage lorsque l'on est dans un champs à désherber… Savoir aussi ralentir, se poser, s'arrêter.
Ce n'est pas niais, c'est un mode de fonctionnement qui me procure de la joie dans tout ce que j'ai fais ici. Toucher, sentir, ressentir, écouter, humer, contempler.
J'ai l'impression d'avoir trouvé au Jardin du Trèfle le terreau fertile à mon épanouissement personnel. Tout plein de petites graines réunies sur un seul lieu et qui ont germées en si peu de temps. J’accueille tout cela avec surprise certes mais surtout avec émerveillement.
Ici j'ai joué du violoncelle moi qui n'ai plus jamais osé ne serait ce que toucher un violon depuis 20 ans suite à un traumatisme vécu a l'école de musique.
Ici j'ai réalisé un rêve d'enfant en participant à la fabrication de fromages.
Ici j'ai été initié à la méditation moi qui voulait essayer depuis plusieurs mois.
J'ai aussi appris, énormément, et découvert. J'ai ouvert mon horizon.
Par ignorance je ne savais pas que la peinture pouvait se fabriquer si simplement avec des patates et de l'eau.
J'ai aussi appris que l'on pouvait construire une maison de terre et de paille. Des choses bêtes et évidentes mais auxquelles je n'ai tout simplement jamais été exposé.
Si si, des murs en terre et en paille |
Je voulais que ce voyage m'ouvre de nouveaux horizons et me donnent de nouveaux points de vue sur les choses. Je peux dire qu'en ne pédalant pas j'en ai découvertes ici des choses inconnues et encore inexplorées.
Ici surtout j'ai rencontré Pierre, Luce, Chêne et grâce à eux François, Karine, Henriette, PAF, Julien, Maggy, Kim, Oliver, Vincent, Elsa, Paul, Youri, Karine, Sam, Hervé… Oui oui tout ça en quelques jours seulement, et il en manque. Sous leurs yeux bienveillants certains freins ont lâché, beaucoup d'autres se sont desserrés. Jamais, à aucun moment je ne me suis senti jugé. Comme si chacun ici par son simple état d'être vivant disposait d'un crédit illimité de confiance. Et je peux dire que ça encourage à se lancer à bras le corps dans des choses ou l'on ne se serait même pas projeté mentalement avant. Comme poncer et enduire un mur moi qui n'est pas manuel. Comme jouer d'un instrument moi qui est handicapé de la musique. Comme se montrer brut, comme on est, moi qui est toujours caché.
Il a même été question a un moment que l'on danse Maréva et moi… C'est pour dire !
Pierre et Luce ont la patience de perdre du temps à expliquer, à transmettre, souvent bien au-delà du nécessaire. Ils ont également l'engagement de faire ensemble dans la convivialité et le partage plutôt que de laisser faire seul et de s'occuper d'autre chose. J'ai trouvé ici la bienveillance qui est naturelle. Des gens qui se tournent vers l'intérieur d'eux mêmes plutôt que de juger les autres. Des gens qui regardent leurs défauts sans en trouver aux autres. Des relations humaines fortes et évidentes. Avec parfois le fracas de vagues d'âmes a fleur de peau qui cassent puissamment sur les rochers côtiers avant de se retirer paisiblement. A les regarder dans leur maturité et leurs rapports on a tout simplement déjà l'impression en n'étant que spectateur de devenir un meilleur humain.
Nous avons toujours du mal a définir notre projet lorsqu'on nous demande ce que l'on fait. Pierre qui sait tant écouter a trouvé dès le premier jour une définition qui me convient parfaitement: on fait le tour de l'univers de l'humain. Oui Pierre c'est exactement le chemin que je veux prendre. Et grâce à vous cet univers est plus beau encore que je ne l'imaginais!
Je veux juste souhaiter simplement a chacun de trouver son Jardin du Trèfle sur sa route.
Maintenant il était temps de partir. Je n'appréhendais pas car j'ai profité de chaque instant. Il n'y a pas de manque car cela suppose le vide alors que je pars remplis. Bien sûr j'aurai des pensées pour les levers, les jeux avec Chêne, les discussions avec Pierre et Luce, les séances de méditation, et tout ce quotidien qui s'était mis en place et qui s’intégrait si bien dans nos vies. Les noisettes a casser, les châtaignes, les repas ensemble, les “leca leca” de Chêne...
Ces moments, cette rencontre sont de la trempe de ceux qui ne souffrent pas de la distance et de l'éloignement. Le Jardin du Trèfle va m'accompagner sur la route pour tous les kilomètres. Et sur mon chemin intérieur pour mon évolution toute ma vie. Puis on a parlé de partager un bout de route, de Géorgie, ce serait merveilleux.
Un jour je sais que je pourrai décrire cette expérience autrement, plus finement et avec d'autres mots. Tout est encore confus.
Mais ce sera pour un autre temps, ça se fera naturellement.
Ce voyage est décidément merveilleux et il prend tout son sens au gré des rencontres que l'on y fait.
Alors Yallah !
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